Dans le sport comme dans bien d’autres choses, certains ont
plus de chance que d’autres. C’est du moins ce qui m’a sauté aux yeux lors de
ma semaine d’entrainement à Cuba.
Tout d’abord, jamais je n’avais mis les pieds sur cette île,
et je dois dire que l’expérience fut fort plaisante. La semaine de relâche,
c’est toujours l’occasion rêvée d’ajouter quelques heures au compteur, et quoi
de mieux que de profiter du soleil pour enchainer les kilomètres, tout ça
accompagné d’une partie de ma famille.
Donc direction Holguín, 7 jours dans un tout inclus, pour
quelques innombrables coups de pédales. Une semaine au Playa Pesquero, l’endroit par excellence pour se faire à croire que
les Cubains pratiquent une religion polythéiste ou les dieux ce sont les
touristes qui donnent des tips.
J’avais entendu bien des belles choses au sujet des routes
de Cuba, mais je ne pensais pas pouvoir tomber sur un aussi beau terrain de
jeu. L’asphalte est parfait et les terrains variés. Sans les vieilles bagnoles
américaines, les ânes, les charrues tirées par des bœufs et toutes autres
sortes de choses moyenâgeuses, je me serais cru sur une jolie route sinueuse
californienne.
Normalement, je fuis les vacances sans saveur. Mais là, je
dois dire que la monotonie d’un tout compris n’était pas si mal. Même plutôt sympathique.
Vélo le matin, poisson frais du jour grillé pour dîner, un peu de plage,
sieste, lecture, discussions philosophiques avec mon grand-père et l’odeur de
ses cigares qui se consument, nettoyage de buffet en guise de souper, puis
finalement dodo. Le rythme est bon.
Maintenant, retour sur mon propos initial : à chacun sa
chance. J’ai la chance d’avoir des parents qui me supportent dans ma quête de
toujours aller plus vite à vélo et en compétition. J’ai la chance d’être né
quelque part où il est possible de changer son vélo neuf chaque année. J’ai la
chance d’étendre du beurre de peanuts sur mes toasts. Les Cubains n’ont pas
toutes ces chances.
Certains possèdent tout de même un vélo. Ils roulent à l’année
et au soleil. Ils ne se plaignent pas lorsque leur capteur de puissance fait
défaut puisqu’ils n’en ont pas. Aussi, selon leur bon vouloir, ils explosent
les jambes de tout cycliste étranger qui pense pouvoir faire le fanfaron dans
les bosses.
Il faut dire qu’ils vont vite. Ou plutôt qu’ils peuvent
aller très vite. Bien sûr, j’ai goûté un peu à cette légende comme quoi ils ne
sont pas tuables. Pour mon plus grand plaisir, deux jeunes locaux m’ont
accompagné pour quelques sorties.
Vers le milieu de la semaine, alors que je termine une ride,
deux cyclistes qui semblaient tout droit sortir des années 1980-90 se joignent
à moi. Ils sont bronzés, parlent l’espagnol et arborent fièrement des vélos de
métal datant d’une autre époque. Ils ne portent pas de casque, respirent à
peine, et les pièces de leurs engins brillent comme un sou neuf. Eh bien tiens,
voilà venir les machines cubaines.
Lionel, 21 ans et Javiar, 18 ans, sont tous deux membres de
l’équipe cycliste d’Holguín. Nous échangeons quelques regards furtifs et puis
quelques paroles. Leur coup de pédale n’a pas l’air si mal. Nous sympathisons
et nous donnons rendez-vous le lendemain matin pour une vraie ride.
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Lionel, Javiar, et Alexie ma petite soeur à ma gauche |
Tôt le lendemain, ils sont là, ils attendent depuis je ne
sais combien de temps. Nous nous élançons, je prends mon petit rythme de longue
distance, eux semblent s’adapter à la cadence apparemment trop lente pour eux. Pas
de problèmes, les Cubains ne sont vraiment pas stressés. Je leur signale que je
vais conserver mon rythme de zone 1 et qu’ils sont libres d’exprimer leur art à
la hauteur de leur talent. Pas question, ils tiennent à m’accompagner. Je me surprends
à penser que la perspective d’éventuels « cadeaux » en fin de ride
les retient quelque peu en ma compagnie.
J’en profite pour apprendre quelques mots en espagnole. Javiar,
le plus jeune, brise sa sapato (son soulier).
Nous le laissons chez un cordonnier, puisque les magasins de vélos semblent
moins nombreux que les McDo dans ce pays. Me voilà seul avec Lionel, qui m’accompagne
dans la campagne cubaine.
Le contraste entre l’hôtel et le vrai visage cubain est vraiment
dépaysant. Sur cette route qui serpente entre vallons et montagnes défile la
réalité. Les gens ne sont pas pressés, les vaches non plus d’ailleurs. Parfois
elles sont immobiles en plein milieu de la route. On dirait qu’elles méditent.
Je prends plaisir à regarder dans les maisons et à observer ce que font les
gens. Le rythme de vie semble tellement lent, décontracté et simple. Très
inspirant.
Je me sens comme un extra-terrestre lorsque nous arrêtons
dans un petit village en plein cœur des montagnes. Lionel avait repéré un tuyau
sortant du sol qui crachait un peu d’eau. Aussitôt, il remplit sa bouteille et
m’offre amicalement de faire de même avec les miennes. Non merci, cher ami, je
préfère avoir les dents sèches.
Ne voulant pas abuser de déshydratation, je fais demi-tour,
toujours suivi de mon partenaire. Voilà déjà deux heures que nous avons laissé
derrière Javiar. Lorsque nous repassons près du cordonnier, il est là, attendant
en bordure de la route. Chaussé d’une paire de souliers de l’an quarante, il se
rejoint à nous. Aucun problème.
Retour à l’hôtel, nous remettons ça au lendemain. Une nuitée
plus tard, même scénario : ils m’attendent tout près de l’hôtel. Je les
avise que je prends ça relax, puisque c’est ma dernière journée et que j’ai un
petit mal de gorge. Le destin en voulut tout autrement.
Après une trentaine de minutes à petit régime, nous rencontrons
un groupe de cyclistes ontariens. Des masters. Moi qui croyais que ce serait
relax. Nous nous joignons au groupe, puis suite à quelques discussions, la
nouvelle se répand que je suis un coureur élite. Ah bien, se disent plusieurs
de ces quadragénaires, pas question de le laisser filer sans lui montrer que
nous aussi ont est capables de vomir d’essoufflement dans une bosse.
Nous roulons deux par deux, je suis côte à côte avec celui
qui a le plus beau vélo. Vient le temps de notre relais. 450 watts pour ceux à
qui ça dit quelque chose. Après une trentaine de secondes, mon partenaire de
relais ne pouvant plus imposer son rythme retourne à l’arrière. Soit, je l’accompagne
puisque ce n’est pas si agréable de rouler à ce rythme.
Mais le petit peloton est soudainement bien excité. Tous
mettent à profit leur testostérone et attaque les côtes comme si leur survie en
dépendait. Et moi je suis.
Après quelques bons efforts, je suis à l’avant, je suis mes
deux camarades Lionel et Javiar, pas tuables. Je me retourne : il n’y a
plus personne. Nous continuons malgré tout à jouer à ce petit jeu finalement
pas si désagréable que ça. Je remarque par la même occasion que les Cubains
peuvent souffler un peu d’air de temps à autre.
Nous revenons à l’hôtel tranquillement, puis le moment venu
de se quitter, je donne à mes amis quelques bébelles de vélo, puis leur promets
de leur rapporter des pneus l’année prochaine. En attendant, je retourne sur
mon computrainer dans le frette alors qu’eux continueront de rouler cinq heures
par jour au gros soleil, les chanceux.
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