mardi 12 mars 2013

À chacun sa chance


Dans le sport comme dans bien d’autres choses, certains ont plus de chance que d’autres. C’est du moins ce qui m’a sauté aux yeux lors de ma semaine d’entrainement à Cuba.


Tout d’abord, jamais je n’avais mis les pieds sur cette île, et je dois dire que l’expérience fut fort plaisante. La semaine de relâche, c’est toujours l’occasion rêvée d’ajouter quelques heures au compteur, et quoi de mieux que de profiter du soleil pour enchainer les kilomètres, tout ça accompagné d’une partie de ma famille.


Donc direction Holguín, 7 jours dans un tout inclus, pour quelques innombrables coups de pédales. Une semaine au Playa Pesquero, l’endroit par excellence pour se faire à croire que les Cubains pratiquent une religion polythéiste ou les dieux ce sont les touristes qui donnent des tips.

J’avais entendu bien des belles choses au sujet des routes de Cuba, mais je ne pensais pas pouvoir tomber sur un aussi beau terrain de jeu. L’asphalte est parfait et les terrains variés. Sans les vieilles bagnoles américaines, les ânes, les charrues tirées par des bœufs et toutes autres sortes de choses moyenâgeuses, je me serais cru sur une jolie route sinueuse californienne.

Normalement, je fuis les vacances sans saveur. Mais là, je dois dire que la monotonie d’un tout compris n’était pas si mal. Même plutôt sympathique. Vélo le matin, poisson frais du jour grillé pour dîner, un peu de plage, sieste, lecture, discussions philosophiques avec mon grand-père et l’odeur de ses cigares qui se consument, nettoyage de buffet en guise de souper, puis finalement dodo. Le rythme est bon.


Maintenant, retour sur mon propos initial : à chacun sa chance. J’ai la chance d’avoir des parents qui me supportent dans ma quête de toujours aller plus vite à vélo et en compétition. J’ai la chance d’être né quelque part où il est possible de changer son vélo neuf chaque année. J’ai la chance d’étendre du beurre de peanuts sur mes toasts. Les Cubains n’ont pas toutes ces chances.

Certains possèdent tout de même un vélo. Ils roulent à l’année et au soleil. Ils ne se plaignent pas lorsque leur capteur de puissance fait défaut puisqu’ils n’en ont pas. Aussi, selon leur bon vouloir, ils explosent les jambes de tout cycliste étranger qui pense pouvoir faire le fanfaron dans les bosses. 

Il faut dire qu’ils vont vite. Ou plutôt qu’ils peuvent aller très vite. Bien sûr, j’ai goûté un peu à cette légende comme quoi ils ne sont pas tuables. Pour mon plus grand plaisir, deux jeunes locaux m’ont accompagné pour quelques sorties.

Vers le milieu de la semaine, alors que je termine une ride, deux cyclistes qui semblaient tout droit sortir des années 1980-90 se joignent à moi. Ils sont bronzés, parlent l’espagnol et arborent fièrement des vélos de métal datant d’une autre époque. Ils ne portent pas de casque, respirent à peine, et les pièces de leurs engins brillent comme un sou neuf. Eh bien tiens, voilà venir les machines cubaines.

Lionel, 21 ans et Javiar, 18 ans, sont tous deux membres de l’équipe cycliste d’Holguín. Nous échangeons quelques regards furtifs et puis quelques paroles. Leur coup de pédale n’a pas l’air si mal. Nous sympathisons et nous donnons rendez-vous le lendemain matin pour une vraie ride.
Lionel, Javiar, et Alexie ma petite soeur à ma gauche

Tôt le lendemain, ils sont là, ils attendent depuis je ne sais combien de temps. Nous nous élançons, je prends mon petit rythme de longue distance, eux semblent s’adapter à la cadence apparemment trop lente pour eux. Pas de problèmes, les Cubains ne sont vraiment pas stressés. Je leur signale que je vais conserver mon rythme de zone 1 et qu’ils sont libres d’exprimer leur art à la hauteur de leur talent. Pas question, ils tiennent à m’accompagner. Je me surprends à penser que la perspective d’éventuels « cadeaux » en fin de ride les retient quelque peu en ma compagnie.

J’en profite pour apprendre quelques mots en espagnole. Javiar, le plus jeune, brise sa sapato (son soulier). Nous le laissons chez un cordonnier, puisque les magasins de vélos semblent moins nombreux que les McDo dans ce pays. Me voilà seul avec Lionel, qui m’accompagne dans la campagne cubaine.

Le contraste entre l’hôtel et le vrai visage cubain est vraiment dépaysant. Sur cette route qui serpente entre vallons et montagnes défile la réalité. Les gens ne sont pas pressés, les vaches non plus d’ailleurs. Parfois elles sont immobiles en plein milieu de la route. On dirait qu’elles méditent. Je prends plaisir à regarder dans les maisons et à observer ce que font les gens. Le rythme de vie semble tellement lent, décontracté et simple. Très inspirant.

Je me sens comme un extra-terrestre lorsque nous arrêtons dans un petit village en plein cœur des montagnes. Lionel avait repéré un tuyau sortant du sol qui crachait un peu d’eau. Aussitôt, il remplit sa bouteille et m’offre amicalement de faire de même avec les miennes. Non merci, cher ami, je préfère avoir les dents sèches.

Ne voulant pas abuser de déshydratation, je fais demi-tour, toujours suivi de mon partenaire. Voilà déjà deux heures que nous avons laissé derrière Javiar. Lorsque nous repassons près du cordonnier, il est là, attendant en bordure de la route. Chaussé d’une paire de souliers de l’an quarante, il se rejoint à nous. Aucun problème.

Retour à l’hôtel, nous remettons ça au lendemain. Une nuitée plus tard, même scénario : ils m’attendent tout près de l’hôtel. Je les avise que je prends ça relax, puisque c’est ma dernière journée et que j’ai un petit mal de gorge. Le destin en voulut tout autrement.

Après une trentaine de minutes à petit régime, nous rencontrons un groupe de cyclistes ontariens. Des masters. Moi qui croyais que ce serait relax. Nous nous joignons au groupe, puis suite à quelques discussions, la nouvelle se répand que je suis un coureur élite. Ah bien, se disent plusieurs de ces quadragénaires, pas question de le laisser filer sans lui montrer que nous aussi ont est capables de vomir d’essoufflement dans une bosse.

Nous roulons deux par deux, je suis côte à côte avec celui qui a le plus beau vélo. Vient le temps de notre relais. 450 watts pour ceux à qui ça dit quelque chose. Après une trentaine de secondes, mon partenaire de relais ne pouvant plus imposer son rythme retourne à l’arrière. Soit, je l’accompagne puisque ce n’est pas si agréable de rouler à ce rythme.

Mais le petit peloton est soudainement bien excité. Tous mettent à profit leur testostérone et attaque les côtes comme si leur survie en dépendait. Et moi je suis.

Après quelques bons efforts, je suis à l’avant, je suis mes deux camarades Lionel et Javiar, pas tuables. Je me retourne : il n’y a plus personne. Nous continuons malgré tout à jouer à ce petit jeu finalement pas si désagréable que ça. Je remarque par la même occasion que les Cubains peuvent souffler un peu d’air de temps à autre.  

Nous revenons à l’hôtel tranquillement, puis le moment venu de se quitter, je donne à mes amis quelques bébelles de vélo, puis leur promets de leur rapporter des pneus l’année prochaine. En attendant, je retourne sur mon computrainer dans le frette alors qu’eux continueront de rouler cinq heures par jour au gros soleil, les chanceux.



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