jeudi 13 septembre 2012

Ghislain


Et je ressusciterai d'entre les morts...
J’avais quasiment oublié la sensation que cela fait de descendre une côte à vélo le poil de jambe au vent. Délicieux.

Avec seulement un bras fonctionnel au cours des dernières semaines, loin de moi les obligations de l’éradication capillaire, de même que le vélo. Mais voilà que ma bien aimée monture de route ressuscite d’entre les morts, pour quelques randonnées montréalaises.

J’aime bien le mont Royal. On y croise un amalgame de cyclistes de toutes espèces. Des vieux, des jeunes, des vites, des pas vites, des pros, des cyclotouristes. Même seul, avec un peu de chance, quelques sympathisants veulent toujours se faire une petite partie de grimpette. Celui qui arrive en haut le moins essoufflé gagne.



Aussi, cette butte est l’habitat naturel de quelques braves qui, instinctivement, vous étiquettent comme défi potentiel. Je prends ta roue et je ne la lâche pas quoiqu’il arrive.

Cette semaine, je m’en suis collé un vrai.

À peine j’entame à petit train mon premier tour, déjà il se met en chasse. Un vrai de vrai. Aucune excuse, toutes les raisons sont bonnes pour se mettre à bloc.

Première ascension, je me retourne, je constate : je suis pris en chasse. Bon, inutile de mettre cartes sur table tout de suite. Le poursuivant me montre ses atouts et me dépasse. Même pas essoufflé. Dans une retenue digne du plus puritain des moines tibétains, je garde mon rythme d’échauffement.

Je conserve la cadence dans la descente, je le dépasse, et le voilà qu’il se vautre dans ma roue.

Deuxième ascension. Le prédateur est toujours là. Moi, bien échauffé, j’embarque le tempo. Mais c’est qu’il s’accroche, le filou.

Tu veux jouer papi ? Allez, on passe en quatrième vitesse. Mais qu’est-ce donc ce raffut ? On jurerait la respiration d’un labrador exténué. Il respire toujours, et violemment en plus. Comment un homme peut-il faire autant de raffut sans s’évanouir ? Non mais c’est que je n’ai pas du tout envie d’arrêter et d’appeler une ambulance pour cause d’inhalation abusive d’oxygène.

Pas mal, mon petit père…on monte quand même à plus de 400 watts.

La bute passée, voilà le moment de sympathiser avec le dur à cuire. Ghislain, de son nom, est un vrai. 49 ans, père de famille, prof de math, coureur chez les masters B, et aucune excuse pour ne pas suivre jusqu’à explosion.

J’entame prestement ma troisième boucle. Mais c’est qu’il en redemande. Voilà, vous êtes servi cher monsieur, que votre gourmandise soit rassasiée. Même tempo que la fois précédente, Ghislain souffle si fort dans mon dos qu’il me propulse.

Ce qui devait arriver arriva. Les essoufflements s’éloignent derrière moi, je suis soulagé. Mon honneur est sauf, je peux enfin m’autoriser à avoir moins mal. Ghislain a éclaté.

J’aime bien ce courage, cette rage de suivre typique au rouleur masters. Cela fait contraste que de rouler uniquement selon l’intensité X, au wattage près, comme le veut la pratique de l’entrainement cycliste élite.

Mes respects, chers masters. Moi-même, je n’ose même pas aborder mon coup de pédale avec la même hargne. La discipline empêche parfois le dépassement de soi. Je me transforme donc, le temps d’un automne, en master aguerrit. Place à l’honneur.