lundi 22 juillet 2013

Le sacrifice ultime

La dernière fois que j’ai regardé un championnat canadien de vélo de montagne élite, je crois bien que j’étais d’âge cadet. À cette époque, un extravagant flanqué de souliers orange et arborant des favoris d’une autre époque remportait son premier titre. Ce type coloré, que je ne connaissais pas trop, allait devenir légende.

Quelques titres en poche plus tard, le voilà qu’il tente toujours de décrocher la palme. Rouler dans le même peloton que cet homme membre d’une castre élitiste, c’est tout un honneur. Il est là, en vrai, favoris et guidon proéminent à l’affut. Plusieurs le regardent, le scrutent, observent ses moindres faits et gestes, tentent de décoder la clé de son succès.

Idem pour moi, sauf que cette année, la vue est quelque peu différente. Je me languis dans la zone de ravitaillement, alors que les loups s’élancent sur le parcours. Cruelle perspective.

Observant mes compères déambuler dans cette course qui pour la plupart est la plus importante de la saison, je frétille à l’envie de prendre part à la fête. Je songe à mon niveau de forme tout de même respectable. Je compte les tours, les écarts, les positions. J’encourage des amis qui livrent de solides performances. J’aurais pu être là. Du masochisme.  

Mais le sacrifice en valait bien le coût.

Si je me suis déplacé jusqu’aux championnats sans y prendre part, ce n’est pas par simple idolâtrie envers les dieux des sentiers. J’accompagnais quelques jeunes cadets du club C3/Vélo Pays-d’en-Haut, qui tout comme moi il n’y a pas si longtemps, rêvent devant leurs idoles. J’allais leur servir de chaperon, de guide et de cobaye pour les divers obstacles techniques parsemant le parcours, en plus de leur livrer quelques conseils. Certains qualifient ce travail comme celui d’entraîneur.

Restons modestes : bien que mes démonstrations fussent bien exécutées, je craignais la perspective désastreuse de chuter devant mes protégés. Toute leur confiance en la faisabilité des sections techniques reposait sur mes épaules. Dure responsabilité que celle de cobaye, tout comme celle de convaincre quelqu’un de s’élancer sur un saut alors qu’un papa un peu trop confiant vient d’y exécuter un majestueux vol plané.

Fort heureusement, les jeunes disposent d’habiletés motrices supérieures à celles de la vieillesse. Mes bambins maitrisèrent rapidement le tout, je n’eus point à me risquer pour de multiples exécutions démonstratives.

Aussi, cette perspective face au championnat allait me confirmer une chose : la course me manque déjà, même si je me suis permis de participer à quelques événements depuis ma « retraite ».

Sommes toutes, je ne regrette aucunement ce sacrifice : j’aurai pu guider quelques jeunes, et j’aurai pu me convaincre que le goût de la compétition ne s’estompe pas aussi rapidement qu’on pourrait le croire.


mardi 16 juillet 2013

Des gens spéciaux

Il y a quelques années, ma mère venait parfois me chercher à l’école au volant d’un Westfalia. Devant mes amis, ça flashait. Certains étaient épatés, d’autres trouvaient ridicules le manque de jet set et la grinçante mélodie du moteur. Moi, j’étais bien fier. Et bien heureux lorsque venait le temps de voyager et de visiter mille lieux avec mes sœurs, confortablement assis, sans aucun souci, sauf celui de s’en faire le moins possible. 

Aujourd’hui encore, le véhicule hors-norme fait son office. Il y a maintenant près de vingt ans que nous nous baladons dans ce véhicule baba cool. On ne s’en lasse pas.

Ces deux dernières fins de semaine, je me suis une fois de plus embarqué dans le transporteur familial officiel, question de demeurer bien détendu et de profiter au maximum de ma retraite sportive. La retraite sert bien à se détendre, non ?


Mais tout retraité doit bien sûr demeurer actif. Ne pas sombrer dans la morosité. Le 5 et 6 juillet avaient lieu les coupes du Québec de Camp Fortune à Gatineau. L’envie me prit de m’inscrire aux deux épreuves, un contre-la-montre le samedi et un cross-country le dimanche, histoire de me faire plaisir. Et pour l’occasion, c’est bien détendu dans le Westfalia à 95 km/h vent de dos que je m’embarquais pour la destination. 

Samedi, au contre-la-montre, malgré un départ très lent, je me surpris à décrocher le 4e rang. Pas si mal. Ma plus petite sœur, Alexie, obtenait le 3e rang chez les minimes. Le lendemain, au cross-country, même scénario pour Alexie qui remet ça pour le bronze. Moi, j’allais me livrer à une épique descente dans les cailloux pointus. Ce fut bref, mon pneu et ma roue ne purent encaisser la cadence. Tous deux explosèrent, me laissant comme seule option de redescendre la montagne sur mes deux pieds, chaussés de souliers de vélo, et au final, de quelques ampoules.

Déçu (mais tout de même encore de bonne humeur), j’allais rembarquer dans ledit véhicule pour un décontractant retour au domicile. Mais comble de contrariétés mécaniques, l’engin ne démarrait pas. Allez hop! Groupe : on pousse. Même chose lorsque nous arrêtons faire le plein d’essence. Et curieusement, le fait de voyager dans ce véhicule zen enlève tout souci esthétique, par exemple celui de pousser pieds nus et touts crottés avec mes sœurs la van, elle-même orné de deux vélos à l’avant et deux à l’arrière et d’un joli collant Peace & love. On est loin du Lincoln Navigator remorquant la roulotte de l’année ainsi qu’un petit Jeep pour les déplacements secondaires.


Une semaine plus tard : une autre épopée familiale. Mais cette fois-ci, les vedettes, ce sont ma mère et Jeannie (ma plus vieille sœur). C’est suite à un défi que je leur ai lancé qu’elles participent à leur premier raid en vélo de montagne, pour une distance de 32 kilomètres. Donc direction East Hereford où se tient le raid Jean d’Avignon. Moi, j’allais me coller à l’épreuve de 65 kilomètres.

Je dois le préciser : Jeannie n’est pas la plus grande amatrice de défis sportifs. Or, c’est avec le sourire qu’elle franchit le fil de ces 32 kilomètres, décrochant au passage la 2e position chez les cadettes, en trois heures et des poussières, tout juste suivie de Maman. Pas mal.


Ma mère a toujours eu le dont de trouver des moyens inventifs pour nous motiver. Pour l’occasion, elle avait orné son sac d’hydratation d’une photographie d’un triplé d’ensemble d’abdominaux masculins dignes du plus coriace spartiate. Léonidas peut se rhabiller. Bref, en suivant Maman, Jeannie était bien à l’abri de toute défaillance psychologique. Gageons que l’ornement a su attirer les regards et en motiver plus d’une.
Moi, j’allais encore une fois tester mes limites. Psychologiques cette fois-ci.

Température ensoleillée, temps très chaud. Idéal. Comme prévu, nous sommes partis bien vite. Marc-André Daigle menant la charge dès les premiers instants, nous étions (du moins j’étais) au seuil du tolérable pour une épreuve de trois heures et des poussières.

Les sentiers sont délicieux, ma gourmandise de singletrack rassasiée. Cependant, les goinfres manquant de précautions risquaient de goûter aux contrariétés de multiples crevaisons.  C’est donc prudemment que je descendais les sections techniques truffées de roches.

Mais voilà que les contrariétés se manifestèrent. Mon genou me faisait souffrir, j’avais une envie de pipi, et je chutais trop souvent au goût de mon moral. En plus, je commençais à me parler tout seul à voix haute, ce qui généralement n’est pas bon signe. Après avoir testé sans m’arrêter une technique de soulagement urinaire étudiée chez les pros du Tour de France, je me concentrai à terminer l’épreuve avec le sourire. Heureusement, la dernière portion du tracé empruntait une section de dix kilomètres de descente en singletrack. Les seules mécontentes étaient mes mains, qui durent composer avec la fatigue et des spasmes incontrôlables, surtout lorsque venait le moment de tâter les freins.

Je termine malgré les quelques désagréments en 3e position toutes catégories confondues, pour un temps de 3 heures 24 minutes et des poussières. Marc-André Daigle remporte la palme, suivit de la légende et à la fois mon compatriote d’Espresso Sports Benoit Simard.


La course terminée, c’est le moment d’aller me ravitailler à la cantine du coin. Puis d’attendre l’arrivée de ma mère et de ma sœur. Dans quel état franchiront-elles la ligne ? Et ma sœur pour qui l’intérêt envers les épreuves à vélo était comparable au mien pour les caniches de la reine. Sera-t-elle furieuse? Dégoutée? Franchira-t-elle le fil ? La voilà, debout sur les pédales, pour le sprint final, sourire aux lèvres.

Les endorphines semblent avoir fait leur office. Ma petite sœur y a gouté. Je suis bien fier, d’elle, de ma famille et plus que tout, de notre mode de vie.

lundi 1 juillet 2013

Et il vécut heureux

Ça vaut toujours la peine de terminer en beauté ce qu’on aime.

C’est avec cette petite pensée en tête que je me suis rendu à St-Félicien en fin de semaine, pour le championnat québécois de cross-country.

Petite pensée anodine et quétaine, certes, mais empreinte d’un petit côté spirituel. Pour moi, c’était essentiel, mon abandon de Baie St-Paul devait cicatriser. Je devais renouer avec le cross-country, terminer une course sur une bonne note, sans regret ni amertume.  

Mon choix s’est arrêté au championnat québécois. J’adore le parcours de St-Félicien, pourquoi m’en priver. Pas de repos, ni monté ni descente interminable, mais tout de même un dénivelé appréciable. On ne s’y ennuie pas, comme dans des montagnes russes.

Le même genre de montagnes russes qu’à Baie St-Paul. Et comble de similitude, la pluie tombait non pas à boire, mais à se noyer debout. En voiture, alors que je me dirigeais vers le Lac St-Jean, le déluge était tel qu’il ne manquait plus que Noé et son arche. Remarquez, j’aurais préféré savoir le barbu et son troupeau de rescapés m’attendant à destination, question de dormir au sec. He non. Camping, les amis. Et il faudra monter la tente. Aussi bien se préparer mentalement.

Arrivée à destination. Alexie, ma petite sœur participait aux épreuves de sprint du vendredi soir en plein centre-ville. Le spectacle s’annonçait divertissant ; non seulement le parcours était aménagé dans les règles de l’art (curves-banks, bosses de chameau et petits sauts), mais les jeunes sont reconnus pour ne pas se ménager quand il s’agit d’épater la galerie. L’ennui, c’est qu’il pleuvait, que c’était glissant, et qu’Alexie est tombée au premier round. Heureusement, elle était consolable, prête à participer aux trois autres épreuves de la fin de semaine. Moi, j’optais pour un réconfortant repas au resto avant de m’immerger dans l’humidité de ma tente.

Déjà que la taille des terrains de camping du centre de ski est comparable à la propriété immobilière d’un schtroumpf et que les moustiques sont gros comme des poires transgéniques, il fallut que tout soit trempé. Et pas une, mais deux nuits de camping avec des prévisions météorologiques qui manquant cruellement d’optimisme.   

Trêves de pleurnichage. Question de me faire plaisir, samedi, la veille de la course de cross-country, j’allais explorer les sentiers du coin, non pas à vélo, mais à course à pied. Plutôt inhabituel de courir la veille d’une épreuve, mais ô combien ce fut plaisant. Les sentiers sont magnifiques, parfaits pour du trailrunning, et les moustiques sont rapides comme des dopés, à l’assaut des marcheurs. De toute façon, ça aurait été ridicule et suicidaire de marcher, en proie aux hostilités des maringouins.
J'aime bien ces souliers ces temps-ci.
Le lendemain venu, place au spirituel. J’ai participé à beaucoup de courses de vélo dans ma vie, mais jamais à une « dernière course ». Étrange sensation.  Étrange motivation. Et dans des habits tout neufs en plus, puisque l’équipe d’Espresso Sport vient tout juste de les recevoir. Mais voilà : j’allais me faire plaisir. Je suis parti bon dernier, sans souffrance, pour rouler à bon rythme par la suite, en pleine zone confortable, sans soucis de résultat. Un bon effort tout de même, mais avec un esprit de réconciliation envers moi-même plutôt que de performance sportive. Comble du bonheur, au bord du parcours, certains ne manquèrent pas de m’encourager dans mon chemin de croix. Merci tout spécial à Jacques Galarneau, commentateur et animateur de l’événement, pour ses bons mots d’encouragement tout au long de la course. Ses bonnes paroles solidaires firent toute la différence.

Et maintenant ?

Ma « dernière course » officiellement derrière moi, je peux dormir sur mes deux oreilles, et si l’envie se pointe, retenter l’expérience de la course de vélo. Peut-être plus tôt que tard, sait-on jamais.

C’est un dénouement un peu plus heureux que le précédent, non?