lundi 27 mai 2013

La fin

Froid, gris, humide, venteux : une journée bénie par tous cinéphiles, une journée bonne à prolonger abusivement toute douceur sous la couette, une journée que j’aurais trempé du réconfort d’une chaude tisane plutôt que des tristes violences climatiques. Mais oh, que dis-je, course vélocipédique au menu. Allez, hop ! Dehors le temps pour les pensées négatives, gelons-les-nous avec bonne humeur et ravissement. Nous sommes à Baie St-Paul, deuxième manche de la coupe Canada.

Normalement, ce genre de petits détails météorologique n’affecte pas l’élite en moi. Une fois de plus, devant la rincée qui s’annonce, c’est dans un stoïcisme absolu que je revêts mes lycras. Il fait froid, il y a une course de vélo, et il faut y aller. Allons-y.

L’échauffement débute tout bonnement, je visualise le départ, allez hop, quelques accélérations, puis un petit pipi au bord de la route. La routine, quoi. Mais voilà surgir une pensée qui me trottinait depuis déjà quelque temps en tête : et si c’était la fin ? Le moment de passer à autre chose ? L’aboutissement d’une quête de dépassement sur deux roues ? Pensée friponne, va.

Tout juste le temps de chasser ce ruminement ; retour à l’assiduité mentale. C’est l’heure du départ. C’est l’heure, mais c’est drôle ça ne me tente pas aujourd’hui. Moins de 30 secondes. Faut-il vraiment que j’enclenche le chronomètre ornant mon guidon ? Partez. Et tels des spermatozoïdes, nous nous élançons dans une course endiablée jusqu’à l’orée du bois. Vite, vite, vite, un seul passera le premier.

Aujourd’hui, j’aurais préféré la vasectomie.

Lorsque je mis pied à terre après 15 minutes de course, une seule pensée parvint à m’apaiser : celle de la fin de toutes contraintes élitistes. Mettre un terme à cette vie de moine, purgatoire de mon avarice de performance sportive.

J’arrête, terminé la course de vélo. C’est la première chose que je réponds lorsqu’on me demande ce qui ne va pas. Seul le remède de l’abandon tempérait mon dégoût envers la course à ce moment-là. Sans un mot de plus, sans braver le regard de qui que ce soit, j’allais décompresser seul sur la route, le motton dans la gorge comme on dit. Pour moi, à ce moment précis, c’était clair : terminé la compétition.

Terminé l’entraînement rationnel, les intervalles, le computrainer, le chronomètre, les calories, les restrictions de toutes sortes, la folie de la performance.

Terminé les blessures physiques ; maux de dos incurables à mes années juniors, charcutage de genou une année, friponne et sournoise anémie, déséquilibre hormonal, quand ce ne sont pas les tendons qui se font fragiles, sans compter toutes ces diverses fractures au fil des saisons.

Terminé les blessures psychologiques ; obsession de la performance, quête de la perfection, rapports sociaux indisposés, malsaine relation de maître à disciple. Dans mon désir d’être bon, j’ai cédé à une époque peut-être un peu trop de responsabilités aux mains d’un entraîneur.  

Pour l’heure, je m’offre un temps de réflexion. Avant que l’envie de siéger sur mon vélo ne me quitte éternellement, je me fais cadeau de ce qu’il me plaira bien de faire sur deux roues. Une petite vite de 30 minutes ou une ballade de cinq heures ? Pas de problèmes. Cette semaine, mes envies spontanées dicteront la nature de mes sorties.

À cet instant bien précis, je souhaite bien poursuivre mon engagement auprès des jeunes du club C3/Vélo Pays-d’en-Haut. Le club a vu le jour l’an dernier, et d’accompagner cette jeunesse dans son développement me fait bien plaisir.

Pour le reste, parlant de plaisir, l’an dernier je m'en suis découvert un pour les épreuves d’endurance. Peut-être continuerai-je dans cette voie, pour les voluptés résultant de l'effort prolongé. La saison de raids débute dans trois semaines dans la région de Charlevoix, et je ne manquerai pas de m’y faire douceur. La délicieuse perspective du raid Bras-du-Nord de Saint-Raymond au mois de septembre pourrait très bien accoter le régal du dernier raid Vélomag.

D’ici une semaine, j’espère que mon choix à savoir de quelle manière je poursuivrai à me faire plaisir sur deux roues se dessinera. Aujourd’hui, il fait beau, alors pourquoi pas une sortie épique à vélo de route dans les confins des routes laurentiennes, tiens...  

dimanche 19 mai 2013

Une classe à part


Les athlètes figurant dans le top 20 mondial sont d’une classe à part. Corps et réflexes affûtés, ils vont vite, toujours prêts à aller à la guerre.

Le lendemain d’une compétition, alors que les muscles dorment encore, quoi de mieux que de récupérer en regardant ces motivés de la pédale se faire aller les pattes. Comble du bonheur, on diffusait ce matin en simultané la coupe du monde d’Albstadt en Allemagne. Parfait pour cette matinée de récupération, digérant mon amère déception de la veille.

Une fois de plus, l’imprévisibilité de la course de vélo de montagne m’a sauté en pleine figure.

Raphaël, notre héros local, est parti bien vite. De quoi faire rêver la plupart d’entre nous qui le voyait flirter dans le top-15. Malheureusement, ce fut éphémère. Espérons que ce ne soit que partie remise.

Embêté par un pépin mécanique, le champion du monde en titre Nino Schurter du céder quelques secondes à la légende française Julien Absalon. Il n’en fallut pas moins pour que  l’homme fort français mène le bal. Cinq tours à fond de train, cinq tours à la hauteur de la réputation. Jusqu’à l’improbable.

À la télé, on s’habituait à voir le cavalier seul en tête. Mais voilà que les commentateurs s’inquiètent ; on ne le voit plus. Soudain, la domination du dieu s’évanouit, l’homme trottine maladroitement vélo sur l’épaule. Sa roue pend derrière, et la zone de support technique semble aussi loin que son optimisme.

Un choix difficile s’impose : abandonner la course pour cause de bris mécanique, abandonner la course parce que ça ne va pas bien, parce que ça ne sert à rien de continuer, pour éviter de se brûler pour une 20e ou une 30e position, pour éviter l’humiliation, ou tout simplement finir coûte que coûte.

Nul besoin de se languir, son choix se dessine rapidement. À la reprise vidéo, on le voit franchir la banderole en bordure du parcours, balancer son vélo au sol, lâcher quelques jurons que l’on imagine bien français. Un classique pu*** de me*** se dessine sur ses lèvres. Il n’en faut pas moins pour comprendre qu’il renonce.
En interview, le manager de son équipe partageait son étonnement.

J’aurais préféré le voir terminer coûte que coûte, le voir se battre jusqu’à la fin, me soulever devant une lutte pour une 10e, une 15e ou une 20e place, une lutte épique pour l’honneur. Le spectacle en aurait été que plus captivant.

Or, un peu à l’image du jour où j’ai appris que le père Noël n’existait pas, je me suis souvenu que les grands champions parfois faiblissent aussi. Décevant. Tout jeune, on m’a appris à ne pas abandonner une course de vélo au moindre prétexte. À quoi bon, si le grand manitou flanche lorsqu’il ne gagne pas ?

Nino Schurter, au mérite de son maillot arc-en-ciel, s’accroche et termine 18e.

Retour sur mon épreuve à moi : hier, c’était la première coupe Canada de la saison qui se tenait au mont Tremblant. Un peu moins glamour qu’une coupe du monde, mais tout de même, ce matin mes jambes et mes bras étaient aussi vigoureux que la ténacité de la star française.

Hier matin, c’était tout autrement. La forme au rendez-vous, j’avais bien hâte au départ. Le plan de match : partir vite afin d’éviter l’attroupement à l’orée du bois. Pour mes modestes capacités du domaine des départs rapides, ce fut plutôt réussi. C’est dans le top-15 que je m’engouffre  dans le premier single track. C’était de bon augure.

Première descente : rocailleuse à souhait. Comme le destin ne fait pas que des cadeaux, mon pneu arrière ne put résister à mon manque de fluidité. Il a renoncé à subir la rudesse de mon pilotage. Je m’arrête pour regonfler à la fois le pneumatique et ma motivation, puis repars après mon retard. Il n’en faut que peu pour que la fuite d’air récidive.

Je me rends prudemment jusqu’au ravitaillement, change ma roue de peine et de misère, puis retourne à l’assaut, gonflé à bloc. Changement de scénario : j’entreprends ce qui m’est bien familier, soit une course de rattrapage.

Je remonte continuellement les positions pour franchir le fil au 26e rang. Amère, voire humiliante déception. Aurais-je mieux fait d’abandonner, d’éviter ce résultat papier et de sauver les apparences? Peut-être, mais j’aurais manqué une bonne occasion d'entraînement, une bonne occasion de repousser mes limites, et au final une bonne occasion d'être fier de moi.