J’apprécie toujours la réaction des gens qui connaissent peu
le vélo lorsqu’ils conçoivent l’envergure d’un raid de vélo de montagne. Le
moment de jubilation suprême, c’est lorsqu’ils vous étiquettent, en tant que
participant, comme cinglé adepte de masochisme et d’hallucinations résultante
de l’effort extrême.
Cette fin de semaine, je participais au raid Vélomag, au
mont Sainte-Anne. Pour avoir roulé le parcours l’an passé, je savais un peu à
quoi m’attendre : environ 2000 mètres d’ascension, 80 km de sentier, et
quelques pensées spéciales me trottant dans la tête uniquement lors d’effort
extrême. Par exemple : « Comment
ça se fait que personne n’a enlevé tous ces cailloux du sentier? C’est pas bien
compliqué m’essemble? » Ou encore : « Pourquoi ne t’ouvres-tu pas, satané emballage de barre tendre? J’ai
comme un petit creux là, et loin de moi l’idée d’arrêter 2 secondes et demie
pour user de mes deux mains. » Poussé à block, on perd parfois la
notion du bon sens.
C’était mon troisième raid de l’été, mais non le moindre. J’adore
le parcours, du vrai vélo de montagne dans les confins de l’arrière-pays du
mont Sainte-Anne. Peu de chemins forestiers, beaucoup de vrais sentiers, et
énormément d’occasions d’appuyer sur les pédales.
Jeff, un ami de longue date, me fit l’honneur de m’héberger chez
lui, tout juste au pied de la montagne. L’endroit parfait, à moins d’un
kilomètre de la station de ski. Jeff, fort sympathique, n’est cependant pas un
adepte de vélo. Il s’intéresse tout de même à la chose, puisque les évènements
du Vélirum ont lieu tout juste dans sa cour. Aussi, lorsqu’on jase de la coupe
du monde et de préparation d’avant course, il est tout étonné du rituel d’avant
course qui veut un échauffement de plus de trente minutes pour un effort d’une
heure et demie. « C’est pas assez de
monter la côte six ou sept fois? Faut en plus qu’avant le départ vous montiez
la côte d’asphalte en sprint? »
Sa réaction fut la même, mais d’avantage ébahi, lorsqu’il me
vit m’échauffer une trentaine de minutes avant le départ du raid. « Quess tu fais là? Me dit-il d’un air
taquin. T’en a pour 80 kilomètres! »
C’est un peu comme au grand prix, au tour de chauffe quand les pilotes
échauffent leurs moteurs et leurs pneus. Ils savent que ça va partir vite. Idem
ici, ça part vite même si la plupart finiront « bunkés », comme on
dit dans le jargon. Ça part TOUJOURS vite, et il y en a TOUJOURS qui bunkent.
Comme prévu, ça roule au super sans-plomb dès les premiers
instants. Pris dans le peloton, je constate la bravoure de certains : j’en
soupçonne plusieurs essoufflés comme des asthmatiques de rouler à un rythme suicidaire.
Après quelque temps, ça se calme. Ça se clame toujours. On a tout de même 80
kilomètres à déguster.
Parlant de dégustation, j’ai quelque peu relâché les pédales
après un certain temps, histoire de savourer l’effort, et non de le subir.
Après une trentaine de kilomètres, un groupe me rattrape, et l’un des
poursuivants me demande :
- Qu’est-ce qui se
passe? Parti trop vite? Mal au dos?
- Ça va, je profite de la ballade.
J’allais en profiter
comme il se doit. Quelques barres tendres plus tard, je rattrapais les
poursuivants en question, plus quelques participants partis prestement. Jusqu’à
environ vingt kilomètres de l’arrivée, au sommet de la montagne avant la
descente finale, c’était plaisant.
L’ennui, c’est que les derniers kilomètres ne faisaient pas
que descendre, et mon dos ne me faisait pas que du bien. À me faire ramener le
banc de mon hardtail sur les fesses
tout ce temps, j’avais le dos en compote.
Ah oui, et idée suicidaire : je ne suis parti qu’avec
deux bidons bien remplis, sans jamais me ravitailler. Ça m’en aurait pris au
moins quatre. Mais comme évoquer plus haut, poussé à bloc, plusieurs pensées
traversent l’esprit, comme la crainte de s’arrêter cinq secondes pour remplir
une gourde.
J’ai souffert les vingt derniers kilomètres. La fin du
parcours était vraiment sympathique, mais j’hallucinais presque des melons d’eau
juteux et des fontaines de liquide de toutes sortes. J’étais comme en transe,
sous l’effet du manque de liquide. Cette virée s’est terminée comme dans un
rêve psychédélique, comparable à l’épopée d’Alice au Pays des merveilles. Les dix dernières bornes, ce sont des vallons
sans pitié pour quiconque a atteint sa limite.
Une fois le fil franchi, mes hallucinations derrière moi et le
dos bien barré, il me fallut une dizaine de minutes à débarquer de mon vélo.
Puis une trentaine pour ingurgiter un tas de trucs comestibles. Et enfin ce qui
me sembla une éternité pour pédaler les quelques mètres jusque chez Jeff, où m’attendaient
des victuailles un peu plus consistantes.
Je termine 5e toutes catégories confondues, 3h56
minutes de bicyclette. Et je termine aussi ma saison de vélo. D’ici les
premières neiges, j’enfilerai un peu plus régulièrement mes souliers de course,
histoire de tenter ma chance si tout va bien pour un demi-marathon au mois d’octobre,
et quelques compétitions de courses en sentier au passage. Le tout
soigneusement hydraté, bien entendu.
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