L’or des Aztèques était pour les conquistadors ce que sont
les sentiers des Laurentides aux yeux des amateurs de vélo de montagne. Paradis
de trésors.
Ce n’est pas un secret, la région recèle de sentiers tous plus
invitants les uns que les autres. Normal d’y voir débarquer une manne de
cyclistes.
Juste au Chantecler, le stationnement accueille toujours quelques
voitures munies de supports à vélo, même en semaine. Beau temps mauvais temps, plusieurs
ne se privent pas et prennent plaisir à fouler les sentiers, parfois pleins de
boue. Voilà une bien mauvaise habitude.
Mardi après-midi, il pleut. Tiens, l’envie de courir en
sentier me prend. Voilà qui tombe pile-poil, considérant les conditions vaseuses
et l’interdiction morale et formelle de rouler.
Arrivé dans le stationnement, je crois halluciner. Seule une
fourgonnette Giant est stationnée dans le déluge, deux individus suspects attifés
de boue et savourant leurs cigarettes rigolent autour de leurs vélos couverts
de parcelles de sentiers. Comme première impression, c’est plutôt raté.
- Salut le gars, vous venez juste de rider ?
- ouais, me répond-on. (Et de jeter sa cigarette par terre en
plus)
- Ce n’est pas la meilleure idée de rouler aujourd’hui. Ça
magane les trails, nous travaillons fort, nous travaillons bénévolement pour
entretenir le réseau, et vous n’avez pas d’affaire à rouler quand c’est boueux
comme ça.
- Ah...ben c’était pas si pire sérieux. On faisait attention.
On shirrait pas dans les curves. On vient de Montréal, on savait
pas.
-Bon... (Conservant mon sang-froid) Vous n’avez pas compris :
de un, ça magane. De deux, il pleut autant à Montréal qu’ici. De trois,
informez-vous avant de venir. Il y a une page Facebook conçue juste pour ça :
RVML (Regroupement vélo de montagne Laurentides), vous connaissez ? De quatre,
remballez votre stock et revenez quand ça sera sec (c’est-à-dire pas avant
quelques jours de beau temps). Ça nous fera plaisir de vous accueillir.
Et le gars travaille pour une compagnie de vélo. Belle image.
Au moins, son air navré laissait planer son consentement devant la réprimande.
C’est bon, me dis-je, ils ont peut-être compris.
Non. Ils n’ont rien compris du tout.
45 minutes plus tard, je termine mon jogging, ou peut-être
devrais-je user du terme natation. Les flots se déchainent, les sentiers
ruissellent, moi je coupe à travers bois pour soulager l’écœurement de mon
chien qui en avait marre de patauger dans ce mélange de boue et de crotte de
cheval.
Tout juste sur la fin, dans la dernière portion de ma course
(le bas de l’Érablière pour ceux qui connaissent) sur qui je tombe? Mes deux
amis du début. Ils remettent ça, les fripons.
- Les gars, là ça ne marche pas. Soit vous n’avez pas
compris, soit vous êtes épais.
- Heu s’cuse nous là. On fait attention sérieux. On shire pas dans les curves.
- Je m’en fou. Vous n’avez pas d’affaires ici aujourd’hui,
et je vous prierai de quitter les lieux sinon mon chien va sévir et mordre vos
pneus. (Remarquez : c’était du bluff. Il grelotait et n’espérait qu’une
seule chose, se blottir contre la chaufferette de ma voiture.)
- Puis on savait pas pour RVML.
- Bien maintenant tu sais. Rvml, RVML, RVML
!! Pas compliqué. Tatoue-le toi sur le front s’il le faut.
Voilà le genre de comportement qui risque de faire
disparaitre la qualité de nos réseaux.
Ce n’est que question de respect. Respect envers les bâtisseurs
de sentiers. Tout ce travail est le fruit du labeur de dévoués et passionnés bénévoles.
Il en tient aux usagers de s’assurer que cette passion perdure. Respect
également envers la communauté cycliste et sportive qui utilise les réseaux. Au
lieu de sombrer dans les abimes du nombrilisme lors d’une journée pluvieuse en
roulant malgré la boue, pourquoi ne pas se joindre à une corvée d’entretien du
réseau. Ou du moins, s’adonner à une autre activité.
« Ben non, j’aime
ben mieux rider dans bouette pi shirrer din curves ! » - un colon -
J’aimerais voir prospérer la qualité des sentiers d’ici 10,
15, 20 ans. Or, si de tels comportements perdurent, je n’ose imaginer d’ici l’an
prochain. Nous avons de superbes terrains de jeux, nous disposons de la collaboration
de la ville et des propriétaires, nous jouissons du dévouement de bâtisseurs
(de sentiers) passionnés.
Évitons la faillite du colonialisme à outrance. Tous sont
les bienvenus, mais dans le respect des réseaux. La ressource est là, mais elle
n’est pas inépuisable.
Chuck est bien triste de ce manque de civisme par journée pluvieuse. |